jeudi 13 juillet 2017

[BACKGROUND] Extrait du carnet de bord - Sean Murphy, explorateur de l'Espace indépendant et opportuniste

"C'était comme un rêve.

J'avais passé les trois dernières années dans les quartiers exigus de mon vaisseau spatial, à attendre une pompe à carburant et un repos bien mérité, avec pour seule compagnie l'odeur de mes chaussettes. Je prenais un raccourci par un endroit désert de la galaxie, quand je fis la découverte du siècle : une planète répertoriée et où la vie était possible ! C'était la troisième parmi sept planètes en orbites autour d'une étoile ambrée. Elle était verte et bleue avec des nuages jaunes et rose pastel, c'était une des plus belles choses que j'aie jamais vues. Une analyse de la surface a révélé qu'elle était sous-développée mais grouillante de vie.

Pour quelqu'un installé confortablement dans un endroit spacieux et tempéré comme la Terre, ceci ne signifie sans doute pas grand chose, mais pour toutes les âmes infortunées venant d'ailleurs, une trouvaille comme celle-ci, c'est la chance de pouvoir se forger une nouvelle vie. Pour un brave gars comme moi, ça signifie un bon petit profit et une retraite anticipée. Je commandai sur champ sur mon terminal les formulaires de concession, je le remplis et les renvoyai par subespace-chrono au Bureau des Concessions Planétaires du Centre Galactique. La planète était à moi !

ça faisait 10 ans que je cherchais un endroit comme celui-ci : un monde n'appartenant à personne, plein de ressources naturelles, un marché de consommation encore vierge et une main d'oeuvre exploitable. Désormais j'avais tout ça pour moi ! C'était trop beau pour être vrai !

Effectivement.

J'emmenai le vaisseau en orbite et je mis le pilote automatique, avec pour instruction de trouver un terrain d'atterrissage susceptible d’impressionner les autochtones. Pendant ce temps, je pris une douche et peaufinai mon discours de prise de possession coloniale: " Ce qui est à vous, est à moi. Travaillons ensemble."  Je me glissai dans mon plus beau smoking cybernétique, j'étais bien.

Tout se goupillait bien pour moi. Je contrôlais  enfin mon destin. Rien ne pouvait rompre ce bonheur.

Tout à coup, toutes les petites lumières du tableau de bord, celles qui ne s’allument jamais, se sont allumées.Les sirènes hurlaient. Je hurlais aussi. Je me précipitai et arrachai un pupitre en feu, pour trouver un embrouillamini de circuits lasers. Le plus éloigné avait complètement fondu. Au fond de moi-même, je me disais que si quelque chose devait mal tourner, pourquoi cela devait-il être dans un endroit si reculé ? J'empoignai un circuit de remplacement et me fis une place dans le réduit... C'est à ce moment-là que le pilote automatique a disjoncté.

Je fus projeté contre une cloison. Je lâchai le circuit de remplacement. Il rebondit sur mon pied et disparu. Pendant que le vaisseau plongeait dans des nuages rosâtres, je maudissais le marchand qui m'avait vendu le pilote automatique. C'est alors que le moteur a pris feu.

Alors que tout autour de moi sombrait dans le chaos, je me rendis compte que tout ce qui aurait pu mal tourner l'avait bel et bien fait. En quelques secondes, le vaisseau devenu une boule de feu s'écrasa dans un eau peu profonde (dont j'appris plus tard qu'elle s'appelle l'Océan du Bien-Être).

Je passai le reste de la journée à maugréer en tentant de récupérer tout ce que je pouvais de mon vaisseau frit, immergé dans 5 mètres d'eau.

Un petit contingent d'autochtones bien habillés sortit d'habitations avoisinantes et me fit un salut formel. En peu de temps, le village entier était amassé et pique-niquait en me regardant. Je suis sur que mon apparence échevelée et mouillée a fait forte impression.

Je décidai d'oublier mon discours."